Mauve

Bon, la situation peut être ainsi résumée. Lorella qui avait perdu son chat l'a finalement retrouvé, ouf ! Elle se tient devant la porte de l'appartement d'Alphonse (moi, vous vous souvenez ?) un croulant qui n'en rêve pas moins de fêter ses 100 ans comme si les dégâts l'indifféraient et que rien n'était plus commode que d'utiliser un déambulateur pour aller aux chiottes.

Arrive alors Claude, mon copain, pas récent non plus, que son épouse verrait calancher d'un bon oeil, ne serait-ce que pour des raisons financières.

Lorella a récupéré son matou qu'elle serre dans ses bras. Elle n'a plus rien à faire là. Les deux hommes du reste doivent être pressés de rentrer dans l'appartement pour râler à propos de tout et rien comme le font les vieux. Boire un bon coup de rouge ou une tasse de café si jamais leurs organismes syupportent encore autre chose que de l'eau claire.

Lorella m'a confié plus tard avoir été la première étonnée de faire ce qu'elle a fait.

Moi, ça ne m'étonne pas. Seulement on se connaît mal soi-même. Lorella manque de confiance en elle. Pas seulement parce qu'elle est jeune, mais parce que c'est dans sa nature. Un défaut qu'elle devra combattre assurément, si elle tient à poursuivre une carrière d'artiste.

  - M'sieur, vous l'aimez bien mon chat ? qu'elle me demande à moi, nonagénaire tout de même. Franchir le cap des 90 pour un homme, ça vaut presque la médaille olympique au niveau de l'exploit. Le prestige en moins, parce qu'un tel niveau de déglingue que ça exige, autant pas s'en vanter.

  - Ma foi, jeune fille, un Bleu russe est un fort bel animal. On sent aussi que c'est un bon gars qui a du coeur, je réplique.

  - M'sieur, est-ce que vous m'aimez bien aussi ?

  - Mademoiselle, vous avez les cheveux presque ras et mauves, lui fais-je remarquer d'un ton peu amène.

  - Ben, s'ils étaient teints en rouge, ce serait pire, non ?

Question

Le sage que je suis s'abstient de lui répondre. Et puis j'en ai marre de rester debout. C'est ferme maintenant que je m'y appuie sur mon déambulateur. Mes grosses mains déformées, tavelées, accrochées aux poignées. Un peu de tremblote même dans l'avant-bras.

Pressé suis-je de faire entrer l'ami Claude en pleine crise conjugale, et peut-être même a-t-elle commencé dès le début de son mariage cette crise... C'est vous dire l'ampleur. Un vrai divertissement pour Bibi, Lorella le jurerait. Reprogrammé chaque année pour une nouvelle saison.

Alors en vitesse elle me la pose sa question, Lorella. Surprise, je l'ai précisé plus haut, que ça lui passe par la tête. Moi, je sais pourquoi, j'insiste. Fragile, Lorella est aussi influençable. Elle tient compte de tous les avis, surtout de ceux de son chat.

Si Iggy s'est barré pour me faire une petite visite, c'est certainement à prendre en considération. Surtout par les temps qui courent.

  - Dis, m'sieur, ma colloc' déménage et ça paraît un peu délicat pour reprendre le bail à mon nom vu que le proprio sait pas que je suis là. J'ai une certaine tendance à l'agoraphobie, aussi la vie dans la rue ne me tente-t-elle pas. Tu voudrais pas m'adopter, hein ?

Je devine que Lorella ne s'imagine pas vivre chez un vieux, dans ce qu'elle imagine être des odeurs de formol. Pas du tout. Seulement elle suit le conseil de son chat. Elle ne sait pas faire autrement que de prendre en considération tout ce qu'on lui dit, voilà.