Lisez et dormez

Quoi de mieux que de s’endormir sur un bon livre ?

Aucune joie ne peut être supérieure. Du moins en ce qui concerne un homme de mon âge. Encore vaillant, ça va sans dire ; mais qui affiche tout de même 94 printemps au compteur !

Attention, pour un effet maximal, il convient d’aller vers la crème des littérateurs…

D’exclure les fabricants de best-sellers. Etres favorisés qui ont trouvé une méthode à laquelle ils s’accrochent pour le plus grand bonheur des banquiers et des agents du fisc, mais qui ne va certainement pas dans le sens de l’édification de leurs lecteurs.

Je ne cherche pas dans un livre ce que je m’attends à y trouver.

Pour cela, je consulte un atlas ! Un best-seller, c’est juste un itinéraire qu’un auteur besogneux s’applique, de temps en temps, à un peu modifier. Pas trop pour ne pas désorienter la masse peu futée qui le suit. Sans deviner, la masse, qu’avec un pareil guide elle tourne en rond !

S’endormir sur la prose d’un écrivain digne de ce nom, c’est tout autre chose, croyez-moi !

Il y a d’abord le plaisir de lire de fortes pages ; ce besoin de faire un peu travailler des méninges que notre quotidien répétitif et banal atrophie.

Vient ensuite l’assoupissement qui vous prend en traître ; ou bien qu’on laisse s’emparer de soi comme un fidèle complice. Et puis ce moment où le sommeil vous saisit et où vous vous endormez avec une si haute opinion de vous-même.

Vous vous sentez alors si intelligent, si pénétré par le savoir et la sagesse que vous avez bien mérité de piquer un roupillon afin de digérer tout ça.

Votre tête alors s’incline et c’est un plongeon dans la béatitude.

Que voilà un sommeil de qualité pour un lecteur qui n’a pas démérité. Vous avez, en quelques minutes seulement, progressé sur le chemin de la connaissance. Si un tel bond en avant ne peut pas être récompensé par un peu de repos, on se demande alors quel autre exploit il convient d’accomplir…

Vous commencez à ronfler en toute bonne conscience.

Quelle belle image vous pouvez avoir de vous ; et cela même si vous émettez un bruit de turbine peu agréable pour votre entourage en plein milieu de la matinée ou de l’après-midi.

Imaginons que cette expression d’une satisfaction intense dérange et qu’on ait l’audace de vous réveiller en vous secouant, en somme, comme un prunier…

Vous êtes tout à fait en droit de vous scandaliser de manières aussi cavalières. « Mais tonton, tu fais trembler les murs ! » me dirait Lorella.

— Moi, dormir ? Non mais, tu rigoles ! Je ne dors pas, petite sotte. Moi, je réfléchis. Un peu bruyamment peut-être, mais il s’agit, vois-tu, d’une réflexion puissante qui ne peut sans doute faire autrement que de s’extérioriser.

Oui, quand on s’endort après avoir bien lu, votre lecture encore vous porte ; vos rêves sont autant de pensées puissantes.

Comme dit la jeunesse, lire c’est le pied ! Ils le sauraient s’ils lisaient plutôt que de dire des bêtises !