Squatters

Dans les jours suivants, pour autant que je sache, il n'y a pas eu de grands drames. Des grands drames, il n'y en a pas souvent chez les petites gens. Tout ce qu'ils vivent est plutôt du genre étriqué. C'est pas pour rien qu'on a tous la télé, hein ? Qu'on s'en gave à s'en bousiller le cerveau à ce qu'il paraît. Une veine qu'on ait pas trop à réfléchir, nous autres. Les puissants s'en chargent à notre place. D'où le beau résultat. Passons.

Ah, la rumeur a quand même couru que la maison du bout de la rue, celle restée vide si longtemps, était envahie par des squatters. de pauvres types sortant de tôle à qui on a envoyé tout de suite les flics histoire qu'ils se sentent bien gardés. pas trop dépaysés.

Aux flics qui ont fait semblant de s'indigner de leur sans-gêne, ils ont répondu qu'ils ne savaient plus où aller. Les cognes, ils en ont vu de toutes les couleurs, ils n'ont pas insisté. Les flics sont tellement revenus de tout que ce n'est pas étonnant que certains se suicident. Non, l'ahurissant est qu'il en reste encore quelques uns dans les commissariats pour répondre à nos appels.

Ils se sont contentés de contrôler les identités, les keufs, et puis ils se sont tirés. Les squatters, à ce qu'il paraît, y sont restés !

Têtu

La vie a continué en toute tranquillité, donc. Y compris pour Alphonse, autrement dit ma pomme, au sommet de la pyramide des âges.

Ca n'a sûrement étonné personne. Autrefois on en parlait bien un peu dans le quartier de la façon désinvolte dont je continuais après mes 90 ans ; bien au-delà de la tolérance permise compte tenu des déficit des caisses de retraite, du gouffre de la sécu et même du bord du précipice en général.

Et puis les gens ont dû se montrer plus ouverts d'esprit. Je ne leur laissais pas le choix. Le père Alphonse qui vous cause est un têtu et lorsqu'il a décidé quelque chose... comme de pas crever...

J'ai même reçu un ami de Paris, celui en fin de quarantaine qui devra se méfier parce que déjà il s'empâte. Ce gars-là a toujours une mine de comploteur. Sûr que dans la rue on se demande de quoi on cause nous deux des heures et des heures durant !

Y'en a qui ont si peu de distraction qu'ils vont jusqu'à espionner un vieux gâteux. Comme quoi la télévision, même si y'en a aujourd'hui tellement, ça manque encore de chaînes !

Lorella, pour finir, cette foutue anticonformiste, ça ne paraît pas la déranger outre mesure de s'accrocher à un mode de vie petit bourgeois. La copine d'une copine a promis de l'héberger, enfin provisoirement. Bien sûr, c'est éloigné et il faudra que Lorella prenne cet affreux autobus pour revenir dans le centre ; mais comme disent tous ceux qui n'ont rien d'autre, la grande majorité du fait de l'injuste répartition des richesses, tant qu'on a la santé...