L'effrontée

Le culot de cette petite effrontée, il faut quand même que je vous raconte... Voilà qu'elle ose prétendre, Lorella, que c'est rapidement que mon état s'est amélioré dès lors qu'elle m'a rejoint dans mon clapier.

Un vrai coup de neuf ! Vingt ans de moins, qu'elle rigole. Elle dit que ça me fait un peu moins d'un siècle comme ça. Il paraît que moi aussi je commence à en rigoler de mes petits problèmes : cette épine dorsale qui dangereusement s'incline, ces genoux sans souplesse et autres désagréments génants à n'en plus finir.

Aucun doute, c'est toujours bon signe quand on commence à se marrer. Même à deux doigts de crever ça aide à faire passer la pilule. Pas seulement pour soi-même. Pas seulement pour faire douter la camarde de son immense pouvoir à force d'éclats de rire tonitruants, comme si, malhabile et bouffonne elle débutait dans le métier.

Il faut aussi considérer le côté bénéfique pour tous vos visiteurs qui ne se pointent plus avec appréhension. Venir vous voir calancher ça devient pour eux un bon moment. Quelle satisfaction pour l'agonisant, même à cinq minutes du grand saut, d'appartenir à une bande de gens poilants. Il trépasse tout fringant.

A un certain niveau dramatique, les larmes sont tout à fait insuffisantes, on est bien d'accord. Il ne reste plus qu'à se marrer et le plus fort qu'on peut.

Mais qu'est-ce qu'elle s'imagine, Lorella, que je suis sur le point de faire ma valise ? Comme si j'allais préparer mes funérailles tant qu'elle y est ! A 94 ans seulement c'est pas le temps qui me manque pour y réfléchir.

D'ailleurs, j'ai mieux à faire. Ces gamines-là sont tellement jeunes qu'elles se figurent être entourées d'épaves. Pour les autres, je dis pas ; mais manifestement elles ignorent ce qu'est la qualité d'avant-guerre !

Le magnétisme de Lorella fonctionne sur un large public, si vous voulez. Je préfère un de ses sourires à un bon coup de pied aux fesses. A part ça, je n'en étais pas à supplier pour qu'on m'adopte, chère mademoiselle. L'inverse me semble plus exact.